lundi 30 août 2010

Coeurs sensibles, s'abstenir

D'abord publié le 11 juin 2010

Doigt amoché, économie de mots forcée.

Samedi 9h20 Pressés, nous travaillons sans gants. En replaçant une grosse roche par terre, je calcule mal les distances et elle m’écrase la main contre la jolie pierre que nous tentions de récupérer.

Ton banal:

Je pense que je me suis cassée le doigt.

Pascal, le même ton :

Je pense aussi.

Connaissance inutile de l’anatomie de mon majeur. Respirer. Marcher. Respirer. Marcher. Douleur. Respirer. Culpabilité. Rester debout. Avancer. S’asseoir dans l’auto. Obéir à Pascal. Respirer. Lever ma main. Ne pas crier devant les enfants. Respirer. Ne surtout pas m’évanouir. Reculer le temps.

C’est moi qui dois choisir l’hôpital. Charles-Lemoyne pour son unité trauma. Non, Pierre-Boucher, c’est plus près. Hésitation. Il faut aller porter les enfants avant. Je choisis Charles-Lemoyne mais Pascal est déjà en direction de Pierre-Boucher.

État de choc. Respirer. Compter. Ne pas penser. Ne pas regarder. Crier enfin. Respirer. Honte.

À l’urgence, on m’installe dans une chaise roulante et me pose des questions sur mon état de santé. On me brusque un peu. On dit que c’est ma faute si je me sens si mal ; j’ai trop respiré et j’hyperventile. Ironique. On me couche ensuite sur une civière et me pose des bandelettes mouillées sur les doigts. Je suis en P2. Priorité 1 étant pour les arrêts cardiaques.

Le personnel me regarde, les patients m’observent. Je ne peux me retenir de pleurer. Je ne pourrai plus m’occuper de mes enfants. Personne ne nous dit rien.

Je dois être trop dramatique. On me transfert dans une petite salle. J’y patienterai cinq heures sans analgésiques. À revivre la pierre qui m’écrase la main. Mes problèmes après l’accouchement. À essayer de m’imaginer sur la plage à Zanzibar. Les doigts trempant dans un bol d’eau saline. Des braises parcourant sans répit ma main.

15h00 Le médecin arrive. Avec lui…la morphine… Pauvres patients qui attendent. Merci de faire ma radio. Le préposé est tellement gentil. Il n’y a pas de fracture. Merci de vous occuper de moi. Pascal est tellement patient. Merci tout le monde…

C’est le temps de nettoyer la plaie et de recoudre. Je ne gèle pas. On m’injecte la quantité maximale d’anesthésiant. Je suis engourdie mais je sens tout. On touche mon tendon (intact par miracle !), on nettoie, on irrigue, on retire les petits morceaux de roches, on débride, on recoud. La douleur est indescriptible tout ce temps. Je mords dans un linge.

De 9h45 à 16h00, les médecins n’auront traité que des arrêts cardiaques, fait une intubation… et reconstruit mon ’’petit’’ majeur. Les autres ont seulement été vus par l'infirmière. La salle d’attente était bondée. C’est trop fou!

16h00, je ressors enfin de l’urgence avec l'interdiction formelle de changer les couches et deux marionnettes à doigts pour amuser mes bébés.

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